lors du salon international du patrimoine culturel, nous avons rencontré benjamin mouton, rédacteur en chef de la collection patrimonial. alors que le dernier opus met à l’honneur trois régions naturelles exceptionnelles, il nous explique les enjeux de leur préservation.

Benjamin Mouton, architecte en chef et inspecteur général honoraire des monuments historiques, rappelle combien il est essentiel de révéler et de sauvegarder des patrimoines fragiles, comme ceux de la Sologne, de la Brenne et de la Dombes.

  • La Sauvegarde : Pourquoi avoir choisi de consacrer ce troisième numéro aux terres humides ? 

Benjamin Mouton : Des sujets sont venus au fur et à mesure. Lorsqu’on fait un numéro, on pense déjà au suivant, et puis l’actualité peut aussi jouer. J’ai eu l’occasion de travailler dans la Dombes. Je connais bien la Sologne, parce que c’est à côté de chez moi. Et je suis allé à plusieurs reprises dans la Brenne. Je me suis dit : tiens, c’est curieux, parce que ce sont des territoires assez éloignés. Ils ont des éléments communs. Est-ce qu’ils ont un patrimoine commun ? C’est là que, tout à coup, on se rend compte que c’est oui et non à la fois.

  • La Sauvegarde : Comment définiriez-vous leur valeur patrimoniale ?

B. M. : Je ne pense pas qu’il y ait un territoire qui ait une meilleure valeur patrimoniale qu’un autre. Sauf que ce qui est intéressant, c’est que ce sont des terres ingrates. Ce sont des terres difficiles. Le fait que des populations s’y installent, qu’elles y restent, et qu’elles arrivent à créer un patrimoine malgré ces conditions difficiles, me paraît être une démonstration assez extraordinaire de l’épopée patrimoniale.

Leur valeur semble assez secondaire. À force de le voir, on se rend compte que c’est un patrimoine qui n’est pas très riche, qui n’est pas très précieux, sauf dans la Brenne où il y a un peu de pierre. Mais c’est surtout de la terre, de la terre crue, puis ensuite ça devient de la brique… et de la brique, on en voit partout. Ce n’est pas florissant. Et pourtant, ça mérite d’être regardé, parce qu’il y a beaucoup d’intelligence derrière ce patrimoine.

D’abord, c’est un patrimoine qui a été trouvé par terre, donc il faut déjà qu’il soit l’objet d’un regard. Et puis, d’une intelligence. Son utilisation est toujours très intéressante, parce qu’il n’est pas né comme ça. Le patrimoine que nous avons aujourd’hui vient d’une accumulation d’exercices, de cette méthodologie, de cette typologie de construction. C’est une espèce de continuité qui couvre plusieurs siècles et qui, progressivement, s’est enrichie de ce qui a marché et de ce qui n’a pas marché.

C’est un enrichissement microscopique. C’est un temps long, une vitesse lente, et c’est très fort, très dense. Ce patrimoine est révélateur de toute cette réflexion, de cette compréhension, et de la manière dont on a su tirer les choses vers le haut.

En plus, il est parfaitement adapté au climat. Il représente un mode de vie dans des climats qui peuvent être hostiles. Et il représente aussi parfois quelque chose de beau, avec une très jolie, une très simple beauté. L’homme n’a jamais rien fait sans penser à la beauté. C’est ça qui est fascinant dans ce patrimoine.

© Romain Bassenne/Marge Design
  • La Sauvegarde : Parlez-nous de la beauté et de la singularité de ces paysages.

B. M. : La Sologne, la Brenne et la Dombes reposent sur des supports très similaires. Ce sont des plateaux d’argile, qui ne laissent pas partir l’eau : l’eau reste. L’expression « terres humides » vient du fait qu’il y a de l’eau, qui n’est pas clairement délimitée. C’est fluctuant, c’est flou comme contexte.

Pourtant, sur ces territoires identiques, on trouve des situations différentes. Dans la Dombes, c’est un paysage très ouvert, où il n’y a quasiment pas d’arbres. La Sologne, c’est l’inverse : un paysage très fermé, avec énormément d’arbres, qui sont récents. Et la Brenne se situe un peu entre les deux. Curieusement, dans la Brenne, au travers des couches d’argile, apparaissent des boutons de grès, qui sont ensuite récupérés pour construire en pierre dans certaines régions.

Ce sont des paysages extrêmement intéressants à regarder, car ils expliquent la façon dont l’homme s’est installé. Des paysages très ouverts, à cause de l’importance des cultures ; des paysages très fermés, parce que la reforestation a recouvert l’ensemble, ainsi que l’influence de la chasse. Et puis la Brenne reste un territoire intermédiaire.

© Romain Bassenne/Marge Design
  • La Sauvegarde : Selon vous, quel lien existe-t-il entre la préservation de ces terres humides et les enjeux écologiques actuels ?

B. M. : Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de différence entre écologie et patrimoine. J’aurais du mal à identifier la frontière entre les deux. Tout travail sur le patrimoine a un sens écologique, à condition de rester toujours dans la logique de ce patrimoine : reconstruire en terre, entretenir en terre, vivre dans ces maisons qui sont remarquables en matière de confort, et les améliorer avec des outils identiques ou biologiques. On est alors pleinement dans l’écologie et dans la préservation du patrimoine.  

  • La Sauvegarde : Pensez-vous que la revue puisse inciter à protéger les terres humides ?

B. M. : On aimerait bien. En fait, les préserver, c’est une chose. Savoir qu’on peut y habiter et qu’on peut s’en inspirer pour continuer à y vivre, c’est encore plus important.

© Louis-Marie Dhérot

© Louis-Marie Dhérot

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© Louis-Marie Dhérot

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© Louis-Marie Dhérot

PATRIMONIAL numéro 3

À la découverte du patrimoine