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« Dans la lettre ouverte que nous avons adressée aux ministres concernés dès le 18 novembre 2022, nous avons lancé un cri d’alarme : le patrimoine bâti ancien non protégé de la France est menacé de disparition ou de banalisation par l’application de normes industrielles de transition énergétique inadaptées à ce patrimoine dont la construction est antérieure à 1948.

Parce que la défense du patrimoine nous mobilise depuis longtemps, parce que nous représentons ensemble 100 000 acteurs engagés dans la défense du cadre de vie, parce que nous nous appuyons sur les architectes des bâtiments de France et sur les architectes du patrimoine, nous croyons possible d’éviter un tel « désastre » et nous faisons aux pouvoirs publics 16 préconisations pour conjuguer Transition écologique et respect du bâti ancien. »

 

LE CRI D’ALARME DES ASSOCIATIONS DU PATRIMOINE : SAUVER LE BâTI ANCIEN D’UN DéSASTRE PROGRAMMé

 

Une exigence préliminaire : Appréhender, analyser et valoriser l’architecture ancienne

Appréhender : Un segment substantiel du parc immobilier

Sur un total d’environ 37,2 millions de logements en France, près de 10 millions appartiennent à la catégorie de l’architecture « ancienne », avec 60% de maisons individuelles et 40% d’immeubles. Cependant, cette proportion tend à se réduire annuellement avec l’apport de nouvelles constructions. Enfin, seule une fraction minime de ces logements patrimoniaux est actuellement « protégée ».

Analyser : Des édifices d’une nature distincte

Érigés selon une logique bioclimatique, avec des matériaux peu modifiés et souvent issus de ressources locales, les bâtiments anciens diffèrent considérablement des constructions contemporaines. Les changements majeurs dans les méthodes de construction datent de 1948, avec la généralisation du bloc de béton.

Valoriser : Éviter un gaspillage environnemental

L’architecture ancienne renferme une histoire longue, due à sa conception durable et sa capacité à être réutilisée plusieurs fois. D’après l’ADEME, la quantité de matériaux nécessaires pour construire du neuf est de 40 à 80 fois supérieure à celle requise pour rénover un bâtiment existant selon les normes BBC. Sans même mentionner le cycle de vie très court des matériaux isolants industriels (PVC, polystyrène). Une rénovation douce et le réemploi pour l’architecture ancienne profiteront également à l’économie des territoires concernés.

 

Une approche : Rendre caduc le dispositif unique imposé à l’architecture ancienne

Les associations patrimoniales sont persuadées qu’il est possible de concilier la préservation de l’architecture ancienne et l’urgence de la crise climatique. Pour cela, il faut impérativement sortir du système « énergétique » actuel qui impose un DPE unique et, par conséquent, des travaux de rénovation standardisés.

L’enjeu « sanitaire » : Éviter la dégradation de l’architecture ancienne

L’architecture traditionnelle est gravement menacée par la politique de rénovation énergétique indifférenciée dont les effets destructeurs, immédiats ou à long terme, se manifesteront par la décomposition des pierres tendres, la dissolution des mortiers, et la prolifération des champignons dans les bois.

L’enjeu culturel : Prévenir une extinction massive de l’architecture ancienne

L’isolation par l’extérieur, qui élimine tous les ornements saillants des façades pour y fixer des dalles généralement en polystyrène, simplifie l’architecture à un gabarit simple et la met en danger.

L’enjeu logement : Éviter d’assécher l’offre de logements anciens

La politique de rénovation thermique commence à avoir un impact négatif significatif pour les propriétaires et les locataires des biens concernés, notamment sous l’effet des sanctions locatives établies aux articles 159 et 160 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique. En conséquence, le marché locatif du bâti ancien se tarit, notamment dans les centres historiques, tandis que se contracte la valeur de biens désormais insusceptibles d’être loués en l’état.

LES 16 PROPOSITIONS DES ASSOCIATIONS DU PATRIMOINE POUR FAIRE JOUER AU BÂTI ANCIEN SON RÔLE DE « FER DE LANCE » D’UNE TRANSITION DURABLE.

Les associations du patrimoine demandent que des critères préétablis, identifiables par chacun, soient appliqués afin de définir un régime spécifique au bâti traditionnel. Celui-ci sera défini suivant deux méthodes : la date de construction (avant 1948) ou, en complément, la reprise des critères du décret n°2017-919 du 9 mai 2017, aujourd’hui codifiés aux articles R. 173-4 et suivants du code de la construction et de l’habitation. Celui-ci réserve l’obligation de réaliser des « travaux embarqués »d’isolation, lors de ravalements importants, aux seuls bâtiments « constituées en surface à plus de 50 %, hors ouvertures, de terre cuite [industrielle], de béton, de ciment ou de métal », excluant ainsi de l’obligation le bâti traditionnel.

Pour que les travaux d’aujourd’hui ne soient pas les problèmes de demain, nous réitérons notre demande d’une suspension du calendrier d’application de la loi Climat et Résilience aux immeubles d’avant 1948. Ce moratoire prendra fin lorsque le nouveau DPE « bâti ancien », spécifiquement conçu pour ce patrimoine, aura été mis en place par les ministères de la Transition écologique et de la Culture, accompagné d’un régime de travaux, propre au bâti traditionnel. Dans l’attente, la méthode « sur facture » (évaluation ex-post des consommations) pourrait être rétablie concernant le bâti ancien.

La question de la réversibilité des interventions en matière de rénovation thermique est centrale pour le patrimoine. Pour le bâti traditionnel non protégé, l’« engrangement » et le réemploi sur place des éléments détachés de ces immeubles devrait être promu et favorisé par la réglementation sur le recyclage. Des matériauthèques, placées sous la houlette des architectes des bâtiments de France, devraient pourvoir accueillir les plus précieux de ces vestiges afin de servir de modèles.

Parce qu’il est exceptionnel, ce patrimoine doit jouir d’une exception garantie dans la durée. Les 45 000 monuments historiques français (qui ne sont habités que pour un tiers d’entre eux) ainsi que les 1400 bâtiments labellisés « architecture contemporaine remarquables » seront ainsi maintenus hors de la « législation climatique ». De même, il convient de soustraire les monuments historiques « à usage tertiaire » de l’obligation de réduire leur consommation d’énergie finale de 60% en 2050 (article L. 174-1 du code de la construction et de l’habitation) – ce qui n’a pas de sens les concernant – par leur intégration aux exceptions de l’article R. 174-22 III du même code.

La protection des monuments historiques est complétée par celle d’espaces protégés (abords des monuments historiques, secteurs patrimoniaux remarquables, sites classés et inscrits) sur 6% du territoire national. Dans ces espaces, l’autonomie des législations patrimoniales (codes du patrimoine et de l’environnement) sera toujours préservée et tout renvoi vers la législation énergétique sera exclu (notamment celle prévoyant une mise à niveau BBC à l’horizon 2050). Les objectifs nationaux de rénovation énergétique devront y être en conséquence adaptés pour un respect scrupuleux du patrimoine.

Aux côtés des deux ministères compétents, un comité ad hoc réunira les professionnels (architectes, associations agréées du patrimoine et de propriétaires, formateurs, chercheurs, bureaux d’études, métiers de l’immobilier) concernés par la transition durable du bâti ancien. Proposant des normes adéquates et recommandant des bonnes pratiques, il encouragera une approche globale du bâti ancien. Il veillera à prémunir le bâti ancien contre l’isolation par l’extérieur par des matériaux industriels, que la loi proscrira. L’utilisation de matériaux bio et géo sourcés respectant l’esthétique du bâti sera, dans le même temps, promue.

Les travaux dans le bâti ancien nécessitent des compétences et des formations appropriées. Les intervenants seront validés par un organisme certificateur qui s’assurera du suivi de leur formation à chaque modification réglementaire. Afin de permettre aux consommateurs de faire un choix éclairé pour leurs travaux énergétiques, nous demandons l’institution d’un label propre à la transition durable du bâti ancien, dont l’Agence Qualité Construction (AQC) assurera le suivi et le contrôle rigoureux.

Le diagnostic énergétique et les travaux thermiques ont une place essentielle dans la Transition énergétique. Or, ces métiers-clé ne sont pas assez régulés, tout professionnel pouvant intervenir dans le bâti ancien sans apporter la garantie sérieuse de sa compétence. Nous demandons que pour intervenir dans le bâti ancien, ces professionnels aient effectivement reçu une formation spécifique.

Nous demandons que dans le cadre d’une enveloppe accrue, un tiers des dépenses de recherche relatives à la transition écologique du bâti soient réservées au bâti ancien. Etudier les logiques constructives propres au bâti ancien, modéliser la manière dont il réagit à court et moyen terme, à l’apport de matériaux, raisonner en termes de cycle de vie, c’est-à-dire avec l’acquis des siècles passés, constituent pour nous des priorités.

Des inventaires des patrimoines en voie de disparition, menuiseries extérieures anciennes notamment (portes, croisées, volets) doivent être entrepris par l’Etat et les collectivités (Inventaire général du patrimoine culturel, Sites patrimoniaux remarquables ou PLU « patrimoniaux »).

La réhabilitation du bâti ancien nécessite une formation spécifique de tous les acteurs intégrant bien d’autres enjeux que la seule performance énergétique. Le choix des solutions retenues doit se faire selon une démarche multicritères fondée sur des objectifs de performance énergétique, mais aussi sur la façon dont ces solutions influent sur le comportement physique du bâtiment et leur incidence sur son intérêt patrimonial. La mission des architectes du patrimoine prend là tout son sens.

La très grande majorité des conseillers « ma prime renov » n’ont reçu aucune formation à la rénovation du bâti ancien. Afin d’accompagner la mise en œuvre du futur DPE « bâti ancien », nous demandons que cette lacune soit comblée, de manière que partout sur le territoire, il y ait au moins un tiers de conseillers formés au bâti ancien, soit la part que représente ce bâti dans le bâti global.

Ce bâti ancien demande une compréhension de l’ensemble des paramètres de la construction sur laquelle il est envisagé d’intervenir. Nous réaffirmons notre demande collective que soit portée de 3 à 10 % la part de lycées professionnels proposant une formation au bâti ancien.

Les solutions industrielles massivement développées avec la transition énergétique du patrimoine méconnaissent non seulement la spécificité du bâti ancien mais aussi l’apport durable des artisans. L’artisanat et les métiers d’art constituent pourtant des valeurs sûres dans le temps et dans l’espace. Il convient de redonner à ces métiers la place dans la formation des jeunes par un apprentissage et une mise en valeur leurs actions économiques, culturelles et artistiques.

Parce qu’elles sont mal ciblées et mal évaluées, l’Etat ne trouve pas son compte dans les aides à la rénovation énergétique qu’il octroie. Même après avoir resserré ses dispositifs d’aide, l’Etat pourrait avoir à payer encore demain, lorsque les dommages au bâti ancien apparaîtront. Le respect du bâti ancien permet d’éviter un tel scénario : encourager la réaffectation de bâtiments anciens à de nouveaux usages, flécher des aides sur le bâti concerné par le DPE bâti ancien, interdire dans ce bâti toute aide liée à la pose de matériaux industriels ou à des projets faisant table rase d’éléments anciens pouvant être reconvertis ou réaffectés à des usages de notre époque.

Jeter systématiquement des menuiseries anciennes pour les remplacer par des matériaux industriels n’est pas un geste durable. Nous proposons ainsi de créer un fonds « portes anciennes » incitant à la restauration ou à l’adaptation des menuiseries subsistantes. Une action ciblée de l’Etat comme des collectivités locales, permettant de sauver ce patrimoine en voie d’extinction, nous semble nécessaire et urgente. Elle pourra être étendue aux croisées et aux volets anciens.