Le programme des visites 2024 du Cercle des Mécènes de La Sauvegarde s’est achevé le 13 décembre dernier par une immersion dans l’exposition « Faire parler les pierres : sculptures médiévales de Notre-Dame de Paris », présentée au musée de Cluny.

Nous avons eu l’honneur d’être accueillis par Damien Berné, commissaire de cette remarquable exposition et conservateur du musée, qui nous a guidés lors d’une visite exclusive riche en découvertes et en éclairages précieux dans le contexte de la réouverture de Notre-Dame de Paris.

Nous vous invitons, à travers cet article, à découvrir quelques œuvres marquantes de cette visite !

« Les Ressuscités », exposés pour la première fois depuis 40 ans

Pour la première fois depuis une quarantaine d’années, ces sculptures peuvent être observées de près, après avoir bénéficié d’un nettoyage minutieux. Sous la couche de crasse accumulée, une grande partie de la polychromie d’origine du XIIIᵉ siècle a été révélée. Les restauratrices ont pu l’interpréter avec précision, restituant une composition colorée fidèle à l’aspect original de l’œuvre.

Cette polychromie repose sur une alternance frappante de rouge et de vert, des teintes opposées qui renforçaient l’impact visuel pour le fidèle arrivant sur le parvis. Si les couleurs de base sont encore bien conservées, les effets de surface – rehauts dorés, glacis transparents et autres subtilités – ont disparu sous l’effet du temps et des intempéries.

↑ Ange sonnant de la trompe et trois ressuscités sortant de leurs tombeaux, vers 1210-1220.
Linteau inférieur : La Résurrection des morts, calcaire lutétien (cliquart) polychromé.

Les restes de polychromie sont une fenêtre étroite et ténue mais précieuse qui nous suggère des dégradés, comme cette aile d’ange irisée. sous la loupe, on passe d’un rose à un rouge, d’un rouge à un vert, d’un vert à un jaune, qui procure un jeu lumineux du plus bel effet sur le portail.

Damien Berné, conservateur du musée de Cluny et commissaire de l’exposition.

↑ Bloc d’angle sommé d’une corniche à décor végétal. Calcaire lutétien polychromé. Découvert à la croisée du transept en 2022 et mis en état pour étude en 2024.
↑ Extrait d’une corniche au décor végétal agrémentée de petits animaux (oiseaux et rongeurs).

Le jubé de notre-Dame, TÉMOIN MAJEUR DE LA POLYCHROMIE MÉDIÉVALE

Érigé dans les années 1230, le jubé constituait à la fois une barrière symbolique entre le chœur des chanoines et la nef des fidèles, une tribune pour les lectures et chants liturgiques, et un support d’un riche programme iconographique. Ce mur, précédé d’une galerie voûtée de cinq travées abritant deux autels, était orné de sculptures polychromées. Caché au XVIIᵉ siècle par un placage baroque sous l’impulsion d’Anne d’Autriche, puis détruit à partir de 1699 lors des travaux liés au « Vœu de Louis XIII », le jubé avait disparu sans laisser de représentation précise.

Cependant, entre février et mai 2022, une fouille archéologique menée par l’Inrap dans le cadre de la restauration de la cathédrale a permis de mettre au jour plus de mille fragments sculptés, soigneusement enterrés dans une tranchée de la croisée du transept. Ces éléments, dont deux tiers conservent des traces significatives de polychromie médiévale, constituent une découverte majeure pour l’étude de l’art gothique. Actuellement, un travail minutieux de stabilisation et de restauration de cette polychromie extrêmement fragile est en cours, en parallèle d’un projet collectif de recherche visant à mieux comprendre l’architecture et l’iconographie du jubé, avec des conclusions attendues en 2026.

En attendant, une sélection d’une trentaine de ces fragments, accompagnée d’éléments conservés au Louvre et au dépôt lapidaire de la cathédrale, est présentée au musée de Cluny, offrant un aperçu des richesses et des mystères de cet élément majeur disparu.

Le portail du cloître

Nouvelles découvertes mises au jour

Nous nous dirigeons à présent dans la salle dite de « Notre-Dame ». Des fragments de tête provenant du portail du Cloître y sont présentés au public pour la première fois. Ces éléments, découverts en 1977 sous l’ancienne Banque Française de Commerce Extérieur, apportent un éclairage précieux sur ce portail méconnu.

Avant la Révolution au XVIIIᵉ siècle, l’abbé Lebeuf avait décrit la composition du portail du Cloître, un autre portail marial de la cathédrale :

Au centre, sur le trumeau, se trouvait une Vierge à l’Enfant. À sa gauche, les trois Rois mages, établissant un lien iconographique étroit avec la Vierge au trumeau, ce qui est inhabituel pour des ébrasements de portails.

Plus remarquable encore, à droite, figuraient les trois Vertus théologales – Foi, Espérance et Charité – sculptées à une échelle monumentale, une première dans un portail gothique. Habituellement, ces personnifications apparaissent dans les voussures, sous forme de figures discrètes et intégrées dans l’ornementation.

Cette tête imberbe révèle, à travers le nettoyage de la pierre, l’importance de se fier aux indices laissés par la matière elle-même. Elle présente des différences notables par rapport aux autres têtes exposées : sa taille est plus importante, et l’exécution semble avoir bénéficié d’une attention moindre de la part du sculpteur. De plus, elle est taillée dans une pierre de qualité inférieure.

L’érosion de la tête offre également des informations intéressantes : un chemin de ruissellement est clairement visible, marquant l’effet prolongé de l’eau qui s’est écoulée intensément du sommet du crâne jusqu’au menton, en passant par un nez particulièrement endommagé. Cette usure suggère que l’œuvre était exposée à une source d’eau continue, peut-être située dans les parties hautes du portail. Si l’on observe les statues subsistantes sur la façade nord du transept, on trouve deux anges. Compte tenu de ses caractéristiques, notamment son allure androgyne, cette tête pourrait donc avoir appartenu à l’un de ces anges.

↑ Roi mage : buste, avant 1258 (?)
Calcaire lutétien et vestiges de polychromie, découvert en 1977 et restauré en 2023.
Tête imberbe, avant 1258 (?)

Une large influence en Europe

Débarrassées de leur crasse, ces chefs-d’œuvre de l’art parisien, révèlent des détails ornementaux étonnants d’une grande finesse. Ces sculptures ont exercé une influence considérable, rayonnant à travers toute l’Europe, de Burgos en Espagne jusqu’à Trondheim en Norvège, notamment dans la cathédrale gothique de Nidaros.

Parmi les pièces exposées figure une tête sculptée, conservée au musée de Cluny depuis sa fondation, qui présente des correspondances remarquables avec des œuvres de la façade de la cathédrale de Trondheim, datées des années 1280-1290, soit environ 25 ans après la construction de Notre-Dame de Paris.

L’une des statues de Saint Denis, visible au musée du palais archiépiscopal de Trondheim, illustre ces liens de manière saisissante : son drapé rappelle étroitement celui du Saint Denis exposé à Cluny.
Les chercheurs émettent l’hypothèse que le sculpteur des statues de Trondheim aurait fusionné deux modèles, probablement issus d’un même portail parisien. Le corps s’inspirerait de celui du Saint Denis de Cluny, tandis que la tête pourrait reprendre les traits d’un autre saint, tel que Saint Marcel. Cette combinaison témoigne de la circulation des idées et des styles à travers l’Europe gothique, renforçant l’importance de ces œuvres dans l’histoire de l’art.

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