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La chapelle des ducs d’Alençon est une œuvre singulière dont l’originalité est intimement liée à son histoire. La chapelle est dédiée à Saint-Laurent ; au XVe s., elle porte le vocable de Sainte-Marguerite (renseignements fournis aimablement par les propriétaires).

La petite ville d’Essay se situe à une vingtaine de kilomètres au nord-est d’Alençon sur la route conduisant à L’Aigle. Ce lieu fut fortifié pour garder la frontière du duché de Normandie. Dès le XIe s., il était tenu par les seigneurs de Bellême, vassaux du duc normand, pour Alençon et le Hiémois (la capitale Exmes avait été remplacée par Sées comme siège épiscopal). Ce promontoire aux pentes raides plongeant dans un étang fut doté d’un château entouré d’une ville close, par Guillaume Ier de Bellême († 1035) qui tenait également les forteresses du Mêle-sur-Sarthe et de Montisambert dressées contre le comte de Mortagne, de la famille des Rotrou de Nogent, titré à la fin du XIe s. comte du Perche. Après l’élimination de Robert de Bellême en 1112, Bellême passe aux Rotrou, mais les Bellême gardent Alençon et la vicomté d’Hiémois, conservant la garde de la Normandie restée fixée sur la Sarthe. En 1204, la Normandie est conquise par le roi de France, Philippe-Auguste, qui réunit à la couronne le comté d’Alençon en 1220.

À l’imitation de la chapelle Notre-Dame du Vieux-Château, dite de Saint-Santin, construite à deux niveaux dans l’enceinte du premier château de Bellême, la chapelle Saint-Laurent d’Essay est probablement contemporaine du château, car une partie des murs paraît remonter à l’époque romane. En 1270, saint Louis disposa d’Alençon et du Perche pour former l’apanage de son cinquième fils, Pierre. Après la mort de Pierre, Philippe IV le Bel donna en 1290 le même apanage à son frère Charles, comte de Valois.

Les hostilités de la guerre de Cent Ans commencèrent dans cette partie de la Normandie en 1355, mais il semble que la remise en état de défense des châteaux comtaux soit l’œuvre de Pierre II (1367-†1404). Avec son épouse, Marie Chamaillart, qui mit au monde trois enfants à Essay, Pierre II résida souvent dans son château et c’est certainement à lui que l’on doit la chapelle dans sa forme actuelle. Faute d’espace derrière le rempart, la chapelle, qui n’a pu être orientée, est construite sur un plan rectangulaire à chevet plat et de dimensions restreintes : extérieur : long. 13,40 m, larg. 10 m, haut. 18 m ; intérieur : long. 10,70 m, larg. 7,5 m, haut.14,10 m.

Cette chapelle, comme presque toutes les chapelles palatiales, comportait deux niveaux, l’un pour le prince et son entourage, l’autre, au rez-de-chaussée, pour la domesticité et les gardes. Elle était contigüe à des bâtiments aujourd’hui détruits, d’où des traces de portes obturées au niveau de l’étage, qui la faisaient communiquer avec les logis d’habitation. La porte d’entrée desservant le rez-de-chaussée est modeste et déportée à gauche, jouxtant le contrefort d’angle.

Depuis la restauration de la fin du XIXe s., l’espace intérieur comporte une vaste tribune à 5,30 m du sol au-dessus de l’entrée, avec deux coursives d’un mètre de large, bordées de balustres, courant sur les murs latéraux.

L’originalité de l’édifice tient aux fenestrages éclairant les nefs haute et basse.

Sur le pignon sud-ouest s’ouvrent deux fenêtres. Celle du rez-de-chaussée, rectangulaire, est divisée en quatre jours par des meneaux, réunis sous un arc segmentaire. À l’étage, au-dessus du larmier, s’ouvre une grande baie gothique divisée par le remplage en quatre panneaux complétés par un réseau de quadrilobes sous un arc brisé. Le pignon, terminé par un fleuron, a été rétabli à la fin du XIXe s. et restauré à la suite de la tempête de 1999.

Sur le pignon nord-est, deux fenêtres, de dimensions similaires, mais moins richement ornées, témoignent également de l’existence de deux niveaux. Malgré toutes les traces de remaniement au cours des âges, la chapelle dans son état actuel reflète les dispositions des premières années du XVe siècle.

Essay subit l’occupation anglaise de 1417 à 1449, le duc Jean II ayant été chassé de ses États. Ruiné par les charges d’entretien des gens de guerre et de son artillerie, il complota contre le roi, fut arrêté en 1456 puis condamné à mort en 1458. Gracié, il fut libéré en 1462 pour retourner en prison de 1468 à 1476. Il ne dut pas faire de longs séjours à Essay. Le château ne retrouva sa vie princière qu’avec Marguerite de Lorraine, épouse en 1488 du duc René Ier. Veuve en 1492, avec la charge de trois enfants, elle fut tenue à l’écart de la ville d’Alençon par les gens du roi et vint habiter Essay, avec de fréquents séjours à Mauves et à Mortagne. Petite-fille du roi René d’Anjou, très pieuse, elle passait de longs moments en prière dans sa chapelle. À partir de 1505, elle rejoignit les Clarisses qu’elle avait installées à Mortagne et à Argentan où elle mourut en 1521 en odeur de sainteté. Elle fut déclarée bienheureuse en 1921. Sa renommée fut telle qu’on en oublia la dédicace de la chapelle d’Essay à Saint-Laurent pour l’appeler Sainte-Marguerite.

Le château d’Essay resta jusqu’à la Révolution dans les biens domaniaux de l’apanage d’Alençon. Les logis furent occupés épisodiquement par les gouverneurs, mais également par des bandes de brigands au moment des guerres de Religion et des troubles de la province de Normandie au XVIIe siècle. En 1590, un ordre de démantèlement fut délivré par François de Bourbon, duc de Montpensier. L’ordre fut suspendu par Henri IV. En 1612, les archives du domaine signalent l’éboulement de la grande salle. En 1692 est mentionnée la démolition de la cour carrée. Tous les biens constituant l’apanage du frère de Louis XVI, le comte de Provence, futur Louis XVIII, furent saisis comme biens nationaux en 1791. La chapelle fut adjugée le 20 thermidor an 4, son utilisation à usage de grange la sauva de la destruction. En 1845, l’archéologue alençonnais Léon de la Sicotière, signala l’intérêt qu’il portait à cet édifice par une lithographie dans son ouvrage L’Orne archéologique et pittoresque.

Il fallut attendre 1900 pour que Francisque de Corcelle, maire d’Essay, député de l’Orne de 1839 à 1848, ambassadeur de France au Vatican de 1873 à 1876, rachetât l’ensemble des vestiges du château d’Essay. Mme de Corcelle fit remonter la toiture et refaire la voûte lambrissée, remplacer les remplages des fenêtres et restituer la tribune et les coursives à l’intérieur. La famille d’Harcourt, héritière des Corcelle, assure aujourd’hui la restauration et la mise en valeur de ce site, haut lieu de l’histoire de la Normandie. Les communications de la chapelle avec le château ont fait l’objet de modifications importantes encore mal étudiées comme l’a signalé Isabelle Chave.

La Sauvegarde de l’Art français a accordé 15 000 € en 2011 pour la restauration du réseau du vitrail de la façade principale, la reprise des maçonneries sur les autres façades et le comblement du vide des fondations de la petite salle du château attenante sur le flanc nord, pour renforcer le soutènement.

Philippe Siguret, avec la collaboration de Richard Arbogast

 

L. de La Sicotière et A. Poulet-Malassis, Le département de l’Orne archéologique et pittoresque, L’Aigle, 1845.

Th. Mercier, « La chapelle des ducs d’Alençon à Essay », Bulletin de la Société historique et archéologique de l’Orne, t. 80, 1962, p. 151-160.

I. Chave, Les châteaux de l’apanage d’Alençon (1350-1450), Alençon, 2003 (Société historique et archéologique de l’Orne, Mémoires et documents, 4), passim.

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