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La chapelle Sainte-Émerence à Moitron faisait partie de l’ancien domaine templier du Gué-Liant, dont le toponyme est lié au pont établi sur la rivière toute proche. Cette commanderie est une des plus anciennes fondations de ce type dans le Maine : elle daterait de la fin du XIIs., après le voyage en Terre Sainte des seigneurs de Fresnay. Son nom apparaît régulièrement dans des textes, à partir de 1231. Elle partagea le sort de la plupart des biens du Temple après la suppression de l’Ordre et fut rattachée en 1312 à celui de Saint-Jean de Jérusalem. L’histoire des bâtiments n’est guère documentée qu’à partir du XVes. ; en revanche les procès-verbaux de visites des XVIIeet XVIIIes. fournissent une description relativement précise de l’organisation du domaine et de ses revenus[1].

Le vaste quadrilatère dans lequel s’inscrivent les bâtiments était ceint de murs. Il est longé au nord par la Sarthe, qui alimentait en eau des douves sur les côtés est et ouest. Le quatrième côté, au sud, était défendu par une haute muraille dans laquelle s’ouvrait une porte flanquée de deux pavillons de plan carré, précédée d’un pont-levis et d’un colombier. On accédait d’abord dans la basse cour. Il ne reste rien aujourd’hui de cet accès, cependant le tracé des fossés était encore visible au XIXesiècle. L’ensemble opposait au visiteur venu de l’est un front de murs clos, sans ouvertures, l’entrée seule au sud possédant un semblant de fortification.

Les bâtiments « nobles » étaient construits autour d’une vaste cour rectangulaire : au nord se situe le logis, bâtiment allongé dans lequel les auteurs du XIXes. reconnaissaient des éléments romans. Un pavillon de plan carré avait été ajouté, au XVIeou XVIIesiècle il a été très remanié dans sa partie ouest ; au centre de la cour s’élève la chapelle, à laquelle fut également adossée, sans doute à la même époque que pour le logis, une tour de plan carré. Le procès-verbal de 1624 semble établir que dans ce logis avait été aménagé un cabinet de travail où étaient conservés les titres de la commanderie. Au sud-est de la cour s’élève un bâtiment abritant une salle de plan rectangulaire, appelée « Le Temple » dans les documents du XIXe s., prolongé au sud par un bâtiment de communs en retour d’équerre[2]. Autour de la basse cour s’élevaient un grenier à blé et des étables. Ils ont été remplacés par de nouveaux communs à une date non précisée. La commanderie fut vendue comme bien national à la Révolution, seul le domaine agricole fut exploité, ce qui explique l’état critique des bâtiments au moment de leur achat par « un ami des beaux arts » en 1877.

La chapelle, longue de 16 mètres, large de 5 mètres, se compose d’une nef unique terminée par une abside en hémicycle. Elle n’est épaulée par aucun contrefort et semble n’avoir jamais été voûtée. Dans le mur-pignon occidental a été ouverte une porte en plein cintre, dont l’arc, chanfreiné, est formé de claveaux inégaux appareillés. Une archivolte ornée d’un cordon festonné, de facture très rustique, la surmonte. Sur la façade nord, une porte donnait accès au jardin, jadis peut-être au cimetière. L’arc est en plein cintre, les claveaux sont sommairement appareillés. Le piédroit, à gauche, appartenait sans doute à une porte antérieure : on y devine la trace d’un chapiteau et peut-être d’une colonne engagée. Remaniement ou réemploi…Ces portes, qui ne sont à l’évidence pas romanes, datent plutôt du XIVeou du XVesiècle. Du côté nord, une étroite baie, constitue peut-être le témoin le plus ancien de l’édifice. L’arc est constitué d’un gros bloc de pierre dans lequel a été gravé un faux appareil, comme on en trouve fréquemment au XIIesiècle ; cette ouverture est condamnée. Dans le mur sud on peut reconnaître deux petites fenêtres de type roman et deux fenêtres ouvertes à une date postérieure ; la plus occidentale a été condamnée lors de la construction du pavillon adjacent. Dans le mur de l’abside deux ouvertures symétriques, sont restées aveugles en raison sans doute de la mise en place d’un retable, aujourd’hui disparu. Celle du nord porte encore, au dessus de l’ébrasement intérieur, les traces d’une archivolte. L’intérieur de la chapelle est couvert d’une voûte lambrissée datant probablement des travaux exécutés au XVes. par le commandeur Jean Le Pelletier, mort en 1459. On sait que la chapelle abritait la dalle funéraire de celui-ci, ainsi que celle de Guillaume de Saint-Mars, mort en1520. Elles ont disparu à la fin du XIXes., transportées dans un autre domaine. Des décors peints ont été retrouvés sur le mur nord, dès 1912, par Lucien Lecureux : ils sont généralement datés des embellissements dus à Jean Le Pelletier. Très dégradés, ils représentent le Dict des trois morts et des trois vifs,et « saint Éloi ferrant son cheval ». Ont été identifiées également trois scènes très effacées, représentant saint Laurent sur son gril, une abbesse et un saint évêque.

La chapelle était placée sous le vocable de sainte Emérence, vierge et martyre, en laquelle une tradition populaire voyait la mère de sainte Anne. Elle était invoquée pour les maux de ventre et faisait l’objet d’une grande vénération dans le diocèse. Les fidèles venaient en pèlerinage la nuit.

Robert Triger indique qu’à la fin du XIXes. la chapelle possédait encore des éléments de son mobilier dont un croquis, exécuté sur ses indications, montre l’emplacement. Au revers du mur-pignon ouest s’élevait une tribune. Une clôture en bois, surmontée d’une Crucifixion, séparait la nef du chœur. Un autel portant trois panneaux peints lui était adossé : ils représentaient sainte Agathe, sainte Emérence, sainte Julie. Une autre clôture séparait le chœur de l’abside, elle ménageait un passage du côté droit. Sur l’autel majeur était placé un retable où figuraient saint Jean-Baptiste et la Vierge et un ermite. Saint Jean était le patron des Hospitaliers. La partie supérieure du retable se retournait en une sorte de dais en quart de cercle, comme on en trouve parfois au-dessus de bancs d’œuvre seigneuriaux, il était surmonté d’une frise sculptée avec dragons, chimères, feuillages, de style flamboyant.

En raison de l’intérêt exceptionnel de ce témoin d’une architecture trop rarement conservée, la Sauvegarde de l’Art français a accordé 10 000 € pour la réfection de la charpente et de la couverture, en 2007.

Françoise Bercé

 

Notes

L’inscription à l’Inventaire supplémentaire n’a pas inclus les communs actuels dans la protection.

 

 

Bibliographie :

  1. Lecureux, « Peintures murales du Moyen Age récemment découvertes dans l’ancien diocèse du Mans », Bulletin monumental, 1912, t. 76, p. 573.
  2. Triger, « Études historiques et archéologiques sur le canton de Fresnay, Moitron-sur-Sarthe », Revue de la Société historique et archéologique du Maine,t. XII, 3, 1932, p. 129-149.
  3. Pré, « Les peintures murales dans la région du Maine et les peintures murales anglaises au Moyen Âge », Revue de la Société historique et archéologique du Maine, t. XXXIII, 2, 1953.

Cordonnier-Détrie (Paul), « Le Guéliant en Moitron », Revue de la Société historique et archéologique du Maine, t. XXXV, 1955, p. 113-127.

 

 

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