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ÉGLISE SAINT-ROMAIN. Le Capcir est le nom porté par la haute vallée de l’Aude, à plus de mille trois cents mètres d’altitude, entre la source de ce fleuve et le col des Arès. À l’époque carolingienne, c’est un territoire aux confins des comtés de Carcassonne et de Conflent, région où prend naissance, vers 840, la proto-dynastie des comtes de Barcelone, avec Guifred le Velu, petit-fils de Bellon, comte de Carcassonne et dernier comte de Cerdagne et Conflent, nommé par le pouvoir impérial également comte de Barcelone en 870 , qui réussira à transmettre son pouvoir à ses descendants, futurs titulaires de la couronne d’Aragon. À cette haute époque, le maillage du territoire est assuré par un réseau d’abbayes bénédictines protégées par le souverain, et le Capcir est, à ce qu’il semble, dans l’orbite de l’abbaye voisine Saint-Jacques-de-Joucou, à laquelle au moins trois paroisses du secteur sont confirmées par un diplôme de Charles le Simple en 908 : Rieutort, Réal et Les Angles. L’historiographie moderne suspecte cet acte d’être un faux, rédigé au XIIIe ou au XIVe s. pour prouver les droits de l’abbaye. À tout le moins, sa possession de ces églises était un fait ancien et bien établi, qui durera jusqu’à la Révolution, malgré l’union, prononcée par le pape Jean XXII en 1317, de l’abbaye à la collégiale Saint-Paul-de-Fenouillet. La paroisse de Réal relevait du diocèse de Narbonne, vaste diocèse paléochrétien s’étendant sur tout le territoire de l’ancienne cité romaine, puis du diocèse d’Alet que le même pape Jean XXII créa la même année en érigeant, aux dépens de la métropole, les sièges d’Alet, Saint-Papoul et Saint-Pons-de-Thomières.

Le territoire de Réal, quant à lui, est cité en 1035 dans le testament de Guifred, comte de Cerdagne (arrière-petit-fils du Velu déjà cité), comme destiné à son fils cadet Berenguer, promis à une carrière ecclésiastique. En 1087, l’alleu de Réal est restitué au domaine comtal dans un de ces va-et-vient de biens entre les patrimoines aristocratiques et ecclésiastiques, typiques des tensions de la réforme grégorienne. Il restera aux mains du souverain jusqu’à son aliénation, au milieu du XVe s., au lignage des Banyuls.

Ce contexte historique explique parfaitement qu’une église bien construite ait existé à Réal dès le haut Moyen Âge, et que l’édifice que nous avons sous les yeux conserve des parties significatives de la première moitié du XIe s., présentant toutes les caractéristiques du « premier art roman méridional », comme d’ailleurs les restes de l’abbaye de Joucou à laquelle elle appartenait. Celles-ci s’imposent aux yeux de tout visiteur, deux séries d’arcatures aveugles animant la paroi sud, à l’extérieur. L’église de Réal est en effet un édifice très simple, un vaisseau unique d’assez belles dimensions (20 m sur 5,5 m à l’intérieur), voûté en berceau brisé et terminé par un chevet plat. Cette construction n’est pas médiévale, mais il est difficile de dire si elle est antérieure à 1744, date inscrite à la porte occidentale, ou si elle est contemporaine de cette date. Les contreforts renforçant la paroi nord, ainsi que la présence d’une chapelle au nord du sanctuaire chapelle seigneuriale ?, nécessairement postérieure au XVe s. laissent cependant penser que l’édifice doit être le fruit d’interventions plus nombreuses et plus anciennes qu’une reconstruction unique au milieu du XVIIIe s. (à laquelle semblent, au demeurant, appartenir les deux fenêtres éclairant le vaisseau au sud).

L’église du XIe s. devait être un peu moins large que l’église actuelle, si l’on observe que la fenêtre haute de la façade ouest avait toutes chances d’être située dans l’axe de l’édifice, alors qu’elle se trouve aujourd’hui décalée vers le sud. La porte en était située au sud, entre les deux panneaux animés d’arcatures, mais l’ouverture a aujourd’hui totalement disparu : son ébrasement est utilisé, à l’intérieur, pour recevoir les fonts baptismaux. Toujours sur le mur sud, on note la présence d’un angle marquant l’articulation de la nef avec une travée droite aujourd’hui incomplète, pareillement décorée d’arcatures aveugles et comportant une petite baie à double ébrasement. S’agit-il de l’amorce d’un chevet plat, ou d’une courte travée de chœur précédant une abside ?

À l’intérieur, au revers du même mur, subsistent quelques mètres carrés d’un décor peint du début du XIVe s., riche tapis décoratif élaboré à partir de cercles sécants, dans les couleurs rouge et jaune rehaussées de traits noirs.

Le retable moderne en cours de restauration par les soins du Centre départemental de conservation du Patrimoine, dans le cadre du plan-Objets cofinancé par la DRAC Languedoc-Roussillon, occupe tout le fond de l’église, avec les statues de saint Romain, titulaire de l’église (il s’agit de Romain d’Antioche, fêté le 18 novembre) et de sainte Maximine, sainte locale qui n’appartient pas au catalogue canonique de l’Église et que la tradition désigne comme une jeune ermite sur la maison de laquelle l’église de Réal aurait été fondée. Les deux saints sont également les parrains des deux cloches fondues en 1807, peu après le Concordat et le rétablissement du culte.

Les travaux auxquels la Sauvegarde de l’Art français a apporté 3 000 € en 2015 ont consisté en une intervention nécessaire sur la maçonnerie du mur sud et la réfection de la toiture en ardoises épaisses locales, ou lloses. Un programme concernant l’intérieur malheureusement enduit sur la presque totalité de l’édifice de mortier hydraulique  est en préparation.

La Sauvegarde de l’Art français a accordé 3 000 € en 2012 pour la restauration de la toiture de l’église et des murs gouttereaux.

Olivier Poisson

 

F. Monsalvatge, El obispado de Elna, t. III, Olot, 1914, p. 309.

É. Badie, Histoire du Capcir et des Capcinois, Prades, 1954, passim (revue Terra nostra, n°s 53-56).

Catalunya romànica, XXV, Vallespir, Capcir, Donasà, Fenolleda, Perapertusès, Barcelona, 1996, p. 256-257.

G. Mallet, Églises romanes oubliées du Roussillon, Montpellier, 2003, p. 237.

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