Par Gabriela Sismann, Historienne de l’art

VIERGE DE DOULEUR ASSISE
Bois peint
Paris
Vers 1630-1640
H. 130 cm ; L. 75 cm ; P. 70 cm
Chapelle Saint-Louis de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris)

Pieds nus, assise sur un rocher, la tête couverte par un pan de l’ample manteau qui l’enveloppe tout entière, la Vierge incline son visage émacié, étroitement enserré par une guimpe, et croise sur sa poitrine ses longues mains dont les doigts effilés se crispent douloureusement.

Le choix iconographique de la Vierge de Douleur, différente d’une Vierge de Pitié qui tient le corps du Christ, inaugure une réflexion mystique sur le désespoir et la solitude, au cours du XVIe siècle, avec la Contre-Réforme. Ce courant de pensée catholique correspond à la spiritualité nouvelle qui invite le fidèle à s’unir aux douleurs divines, à ressentir de la compassion, par la simple observation de l’image, sans recourir, comme au Moyen Âge, à la vision sanglante et objective du glaive fiché dans le coeur. Une attitude à méditer, une angoisse à transcender…

Cette remarquable sculpture de la Vierge de Douleur présente d’évidentes similitudes stylistiques avec une oeuvre de Germain Pilon (circa 1525 – 1590) qui fut, avec Jean Goujon, le plus grand sculpteur de la Renaissance française. Son oeuvre plonge ses racines dans la sculpture médiévale française mais son style a subi l’influence décisive de l’art des Italiens de Fontainebleau. Dans ses sculptures, la Renaissance et le maniérisme italiens s’allient à la tradition française. Par ailleurs, c’est grâce à sa formation humaniste et à ses nombreux élèves, que Pilon prépara la naissance de la statuaire classique du XVIIe siècle français.

Au coeur d’un projet caressé depuis longtemps par Catherine de Médicis, la Vierge de Douleur de Germain Pilon, datée vers 1586, devait prendre place dans la chapelle de Notre-Dame de la Rotonde consacrée à la Dynastie des Valois, accolée au flanc nord de la basilique de Saint-Denis ; sa maquette en terre cuite est conservée aujourd’hui au Musée du Louvre et le marbre, à l’église de Saint-Paul-Saint-Louis à Paris. Le projet de Catherine de Médicis ne vit jamais le jour.
Dans cette oeuvre, Pilon a tenté de rendre la douleur de la Vierge assise sur le rocher du Calvaire, par la seule expression du visage maigre et l’attitude accablée du corps affaissé sous la masse des draperies. L’allongement des pieds et des mains trahit l’influence du Primatice (1504-1570), avec qui Pilon travaille étroitement. Ce traitement s’avère plus sensible dans la terre cuite, antérieure de trois ans au marbre de Saint-Paul-Saint-Louis ; on y peut observer un souvenir de la Piéta de Michel-Ange, à Saint-Pierre de Rome. Les draperies tourmentées donnent à la figure une silhouette pyramidale, non dénuée d’une certaine grandiloquence, mais le visage, comme lavé de larmes, est d’une vérité émouvante. Le pathétique sans afféterie de la Vierge de Germain Pilon permet d’affirmer que ce sculpteur classique de la seconde moitié du XVIe siècle, imbu de style antique et précurseur du baroque, est encore attaché par des liens très solides aux imagiers du Moyen Âge finissant.

L’influence exercée par la Vierge de Douleur de Germain Pilon, celle de marbre ou celle en terre, dont la silhouette a été reproduite par les images de piété, se manifeste essentiellement par quatre copies directes actuellement reconnues où l’on retrouve cette même intériorité, qui confère à ces oeuvres une tonalité si particulière, bien éloignée d’un quelconque pathos :

  • datant du début du XVIIe siècle, la Vierge de Douleur en terre cuite de la chapelle de Rully dans l’église de Bray (Oise), déposée au musée de l’Archerie de Crépy-en-Valois ;
  • la Vierge de Douleur en marbre peint à la Chapelle Sainte-Anne de Lorquin (Moselle), identifiée par Judith Kagan, inspecteur des Monuments Historiques ;
  • datant du milieu du XVIIe siècle, la Vierge de Douleur en bois peint de la chapelle Saint-Louis de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), reconnue en 1976 par Nicolas Sainte-Fare-Garnot, alors conservateur au musée de l’Assistance publique ;
  • la Vierge de Douleur de Frans Van Loo conservée au musée du Cinquantenaire à Bruxelles.

A ces quatre sculptures dérivées du modèle mis en place par Germain Pilon sur le chantier royal de Saint-Denis, il convient d’ajouter les nombreuses figures qui s’inspirent plus ou moins directement de la composition de Pilon : les Vierges de Douleur de Michel Bourdin, réalisée pour la chapelle d’axe de la cathédrale d’Orléans (1624), ou de Gervais Delabarre au jubé de la cathédrale du Mans (1633).

Créée dans des circonstances mystérieuses, la statue de la Vierge de Douleur de la chapelle Saint-Louis de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) semble remonter au milieu du XVIIe siècle. Elle a été placée en composition avec une statue de Christ mort afin de composer un groupe de la Déploration.

Cette sculpture s’avère exceptionnelle par sa taille grandeur nature et par son matériau qui ne connaît pas d’équivalent ; la restauration de cette œuvre apportera un témoignage supplémentaire sur le travail des sculpteurs parisiens, spécialisés en commandes religieuses, au XVIIe siècle.

Pour soutenir la restauration de cette œuvre, vous pouvez faire un don ici

Bibliographie

  • Babelon, J. Germain Pilon, Paris, 1927 (L’Art français).
  • Beaulieu, Musée du Louvre. Description raisonnée des sculptures, t. II, Renaissance française, Paris, éd. R.M.N, 1978, pp. 130-132.
  • Berge, I., Germain Pilon, Thèse, Münich, 1932.
  • Blunt, A., Art and Architecture in France, 1500 to 1600, Harmondsworth, 1953, 2ème éd. 1970 (The Pelican Art history, 4). Trad. Art et Architecture en France, 1500-1600, Paris, 1983.
  • De Boislisle, A., « La sépulture des Valois à Saint – Denis », Mémoires de la Société de l’histoire de Paris, t. III, 1876 (1877), p. 241-292.
  • Brière, G. « Observations sur la Vierge de douleur de Germain Pilon », Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1912, p. 352-355.
  • Dimier, L., Le Primatice, peintre, sculpteur et architecte des rois de France…, Paris, 1900.
  • Martens, W.P., La Rotonde des Valois à Saint-Denis, Bruxelles, 1988.
  • Terrasse, C., Germain Pilon, Paris, 1930 (Les grands artistes).
  • Thirion, J. « Observations sur les sculptures de la chapelle des Valois », Zeitschrift für Kunstgeschichte, Bd. 36, p. 266-281.
  • Sous la dir. De Bresc-Bautier, G., Germain Pilon et les sculpteurs français de la Renaissance, Actes du colloque organisé au musée du Louvre par le service culturel les 26 et 27 octobre 1990, éd. La documentation française, Paris, 1993, pp. 217-229