En 1928, l’affaire des faux d’Alceo Dossena fait grand bruit dans le milieu des musées et des collectionneurs du monde entier. Depuis une décennie, le sculpteur reproduit des œuvres qui sont écoulées par les antiquaires sur le marché.

Dans L’Illustration du 15 décembre 1928, Edouard Mortier, président de la Sauvegarde, revient sur cette affaire qu’il expose au regard d’un contexte elginiste particulièrement propice à ce type de pratique.

« L’extraordinaire progrès de la technique des faussaires en matière d’art ancien est, certes, un fait que les collectionneurs constatent chaque jour avec angoisse ; c’est que, depuis la guerre, la nécessité de décupler le nombre de chefs-d’œuvre pour satisfaire l’engouement des Américains fit naître de véritables fabriques d’antiquités : ici se créèrent des fours à patiner les tableaux d’où sortirent quantité de « Rembrandt inconnus » et de Monticelli ; là, d’une chaise authentique, débitée en morceaux, on fait quatre autres sièges « ayant tous quelque chose d’ancien ». Mais rarement les fraudeurs parvinrent à la maîtrise de ce sculpteur italien Alceo Dossena, spécialisé dans la création de chefs-d’œuvre de la Renaissance toscane et qui, par l’entremise d’antiquaires, distribua dans le monde pour 40 millions de lire de Donatello, de Verocchio, de Vecchietta… S’inspirant de ces maîtres avec une surprenante habileté, il réalisa de nouvelles œuvres d’art que se disputèrent, à prix d’or, des amateurs trop confiants. On cite le cas d’un Américain qui acheta pour 30 000 lire un magnifique « Chemin de Croix » de Pédoni, dont les critiques vantèrent l’authenticité, bien que l’original existât au palais municipal de Rome. Ne va-t-on pas jusqu’à prétendre que les musées de Berlin, de New York, de Boston et de Cleveland auraient acquis des faux pour la somme de deux millions de dollars ? Parmi les œuvres douteuses, se trouverait un tombeau attribué à Mino da Fiesole. Et c’est au moment d’acheter une Vierge de Donatello que le conservateur du musée de New York entreprit l’enquête qui révéla l’escroquerie.

On pourrait s’étonner que jusqu’alors de tels acheteurs n’aient pas exigé quelques explications sur la provenance de ces œuvres ; mais le journal italien La Tribuna raconte que les intermédiaires, pour conquérir leurs clients, disaient avoir retrouvé sur le mont Amiata les restes d’une abbaye démolie à la fin du dix-septième siècle par un tremblement de terre, et que la bonne fortune avait mis entre leurs mains un plan du monastère, ainsi que la liste des statues. Bien entendu, ils réclamaient le secret, afin que l’Etat ou les Beaux-Arts ne viennent pas s’emparer de leurs trésors.

Et le véritable créateur de ces faux magnifiques, Dossena, malgré son indiscutable talent, vécut dans la misère ; aussi incrimine-t-il les antiquaires auxquels il vendait ses statues à vils prix ; pour sa défense, il allègue son goût de l’ancien qui le poussait à patiner et camoufler toutes ses œuvres ; sa haine du moderne est, dit-il, si vive qu’il évite même de traverser les quartiers nouveaux de Rome ! Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’innocence ou la culpabilité de Dossena ; bornons-nous à regretter qu’un tel talent n’ait pas créé, pour la gloire de notre siècle, de belles œuvres originales. Et puisse cette petite leçon ralentir un peu l’ardeur avec laquelle les collectionneurs américains se ruent sur les trésors de la vieille Europe ! »