Au nord de Paris, la petite commune de Fontaine-Chaalis est un modèle de réussite pour la restauration et la mise en valeur d’un patrimoine local. Grâce à la passion et à la volonté des élus locaux, des habitants et des artisans du patrimoine, les émaux de Paul Balze, perdus puis redécouverts, ont pu trouver une nouvelle place dans l’église Saint-Saturnin. La Sauvegarde encourage pleinement ce type d’initiatives locales qui permettent la mise en lumière des richesses de nos communes. Récit d’une redécouverte qui va chercher ses racines dans huit siècles d’histoire de Fontaine-Chaalis…

Abbaye royale de Chaalis, ruines de la chapelle Sainte-Marie et de l’église abbatiale. ©HHParis

Fontaine-Chaalis est un charmant village d’Île-de-France, proche de Senlis, surtout connu pour sa célèbre abbaye, léguée par Nélie Jacquemart-André à l’Institut de France. Un hasard a permis récemment de découvrir dans les greniers de la mairie du village de sublimes peintures sur émail, parfaitement conservées.

Pour notre chance à tous, il se trouve au village un groupe d’amis, de restaurateurs et architectes, amateurs et élus locaux, qui se sont passionnés pour cette découverte et ont su en tirer un parti en rendant visible à tous ces peintures sur la façade de l’église Saint-Saturnin.

La récente pose des émaux commandés et jamais mis en place pour orner la façade de l’église Saint Vincent de Paul, a été pour les Parisiens et les milieux amateurs d’art, l’occasion de découvrir la peinture émaillée sur support de lave de Volvic, qui présente la particularité de ne pas craindre d’être exposée en plein air. Elle a attiré de grands peintres du XIXème siècle qu’une exposition au musée de la Vie Romantique a permis de redécouvrir il y a quelques années .

Paul Balze, qui a signé les émaux de Fontaine-Chaalis est de ceux-là. Des recherches ont permis de retrouver la raison de la présence de ces peintures dans les greniers de la mairie de Fontaine-Chaalis. Elles  avaient été commandés pour orner, de l’extérieur, la rosace de la chapelle Sainte-Marie, occultée de l’intérieur par une célèbre fresque de Primatice, restaurée grâce au mécénat du National Monument Fund.

Les peintures sur émail avaient été commandées par Madame Hainguerlot de Vatry, riche et grande amateur d’art. Nélie Jacquemart-André qui lui succéda, ne voulut pas d’objets contemporains et donna les émaux à l’église de Fontaine-Chaalis, ce que l’on vient seulement de découvrir.

Alors qu’en faire ? La municipalité et son équipe d’amateurs et de professionnels éclairés étudièrent toutes les possibilités.

Au commencement, une abbaye royale entre faste et déclin

Pour comprendre l’histoire des émaux de Balze, il faut revenir sur la passionnante histoire de l’Abbaye Royale de Chaalis. Fondée en 1137 par Louis VI le Gros, le monastère connait un grand développement  économique au XIIIème siècle et une intense activité intellectuelle. Vers 1255, la chapelle Sainte-Marie est bâtie dans un style gothique flamboyant. Louis IX se rend fréquemment à l’abbaye pour y partager la vie des moines et contribue ainsi à l’essor du lieu. Au XVIème siècle, le premier abbé commendataire nommé par François Ier est le cardinal Hippolyte d’Este, fameux personnage et mécène des arts de la Renaissance. Il fait notamment venir à Chaalis Sebastanio Serlio et Primatice. Ce dernier réalise pour la chapelle une fresque toujours visible.

Retable de Paul Balze dans la Chapelle Sainte-Marie ©Jean-Marc Vasseur

Mais après avoir incarné l’essor de la Renaissance en France, l’Abbaye décline au XVIIème siècle, avant de faire l’objet d’ambitieux travaux par le prince et nouvel abbé Louis de Bourbon-Condé. Commande est faite en 1737 à l’architecte Jean Aubert (notoirement connu pour ses constructions du Palais Bourbon, des écuries de Chantilly ou encore de l’hôtel Biron) d’un projet de reconstruction et d’agrandissement. A cet effet, l’ancien cloître est démoli, mais les travaux tardent à débuter. Ce n’est qu’en 1770 qu’une partie des travaux est enfin réalisée (ailes nord et ouest) alors que les finances de l’Abbaye s’écroulent et finissent par provoquer sa liquidation.

Le domaine de Chaalis change plusieurs fois de propriétaires au XIXème siècle avant d’être acheté par Madame de Vatry qui y entreprend d’importants travaux. Elle commande alors au peintre Paul Balze (1815-1884) des émaux pour la Chapelle Sainte-Marie.

« Madame de Vatry qui fit restaurer les fresques de Primatice en 1876 a imposé ses goûts qui étaient ceux du monde auquel elle appartenait. Elle fit appel à Édouard Corroyer pour restaurer l’architecture de la chapelle et à Paul Balze, pour restaurer les fresques de Primatice et enluminer la rosace, le tympan et créer un retable. Il fallait étonner les visiteurs avec des productions de l’art contemporain, sans trop se soucier du passé.

Avec Nélie Jacquemart André, dès 1902, c’est la victoire des historiens et des archéologues. Il faut alors redonner aux édifices l’aspect originel et éliminer les ajouts ostentatoires. Comme ces éléments faisaient néanmoins partie d’une chapelle consacrée, la nouvelle propriétaire, une catholique fervente, en fit don au curé de Fontaine. Une partie d’entre eux furent fixés dans l’ombre de la contre-façade. Des années après, presque tous les éléments manquants furent retrouvés sous un rampant de la toiture de la mairie de Fontaine. »
Jean-Marc Vasseur, responsable du service culturel et pédagogique de l’Institut de France
Domaine de Chaalis – Musée Jacquemart-André

En 1878, les vitraux sont mis en place sur la rosace de la chapelle mais n’y resteront que quelques décennies. En 1902, le domaine est racheté par Nélie Jacquemart-André, peintre et collectionneuse proche de la famille Vatry. Les émaux occultant la rosace ne plaisent guère à la nouvelle propriétaire, ils sont donc décrochés très peu de temps après son arrivée et confiés au curé du village. Une partie des émaux se retrouve effectivement dans l’église Saint-Saturnin.

Restitution de la pose des émaux sur la Chapelle Sainte-Marie © Jean-Marc Vasseur

Les Emaux de Balze, un procédé révolutionnaire oublié

Élève d’Ingres, Paul Balze entre aux Beaux-Arts en 1830, puis se rend à Rome avec son frère Raymond afin de réaliser des copies des œuvres de Raphaël. Celles-ci sont reproduites sur faïence et servent à décorer la galerie du premier étage du Palais des études. Les frères Balze réalisent par la suite plusieurs œuvres pour des commanditaires prestigieux, entre autres le Couronnement de la Vierge pour la voûte du chœur de l’église Saint-Symphorien de Versailles, ou encore La Vision d’Ezéchiel pour l’église Saint-Jacques de Montauban. C’est aussi en Italie que Paul Balze constate la fragilité des fresques qu’il copie et se met en quête d’un support robuste pour ses œuvres. Il le trouve sur des plaques de basalte émaillées. Le procédé impressionne par sa grande résistance et est sublimé par l’art de Balze. L’artiste remporte ainsi plusieurs commandes d’envergure auprès des ecclésiastes parisiens et se fait reconnaître pour la précision et la beauté de ses réalisations sur un matériau aussi brut. Ses réalisations sont encore visibles à Paris, à l’église Saint-Vincent-de-Paul, sur le tympan de l’église Saint-Laurent dans le 10ème arrondissement, ou encore dans l’église de la Sainte-Trinité dans le 9ème arrondissement.

L’histoire de la peinture sur lave puise ses racines dans un XIXème siècle progressiste en quête de nouveaux procédés artistiques. On doit l’invention de cette technique très résistante au chimiste Mortelècque de la Manufacture nationale de Sèvres.

« Ferdinand-Henri-Joseph Mortelècque, artiste-artisan reconnu pour sa maîtrise dans la fabrication des couleurs pour porcelaine et pour verre, mit au point la technique de la peinture sur lave. Grâce au blanc d’émail, « le blanc Mortelècque », dont il couvrit les plaques de lave, on put exécuter sur des supports de grandes dimensions, dont la planéité était conservée à la cuisson, des peintures en couleurs vitrifiables réunissant éclat et solidité et, en plus, inaltérables. »[1]

Son invention est promue par le préfet de Paris, Gaspard de Chabrol, également comte de Volvic. Il voit en l’essor de ce matériau une formidable opportunité économique pour son fief qui fournit alors tous les pavements et panneaux du Paris en plein travaux. Il encourage l’utilisation du basalte pour des commandes artistiques, lui conférant une certaine noblesse. Les frères Balze adoptent également ce procédé et le mettent à l’honneur dans de nombreuses commandes.

En 1878, c’est donc auprès d’un artiste qui a porté très haut cette technique que Madame de Vatry commande la réalisation d’émaux pour orner la chapelle Sainte-Marie. Mais à la mort de l’artiste, la technique de peinture sur lave se perd au profit de procédés moins complexes.

« Le déplacement des émaux de la chapelle de Chaalis à l’église de Fontaine-Chaalis nous est apparu comme le témoignage de l’évolution de la notion de patrimoine dans la seconde partie du XIXe siècle dans une période où les créateurs puisent dans le répertoire médiéval et Renaissance, entre néo-romantisme et néo-réalisme, donnant pour les uns le primat au dessin et les autres à la couleur. »
Jean-Marc Vasseur, responsable du service culturel et pédagogique de l’Institut de France
Domaine de Chaalis – Musée Jacquemart-André

La redécouverte des émaux et leur valorisation

A Fontaine-Chaalis, la disparition des émaux de Balze demeure un mystère jusqu’en 2015. C’est à l’occasion de travaux de réfection qu’une douzaine d’émaux sont redécouverts dans le grenier de la mairie. S’en suit une mobilisation active des élus en lien avec l’architecte Jacky Legier et le responsable du service culturel de l’abbaye de Chaalis, Jean-Marc Vasseur. Ils mènent un travail remarquable pour trouver une nouvelle destination aux émaux, qui sont finalement accrochés au fronton de l’église Saint-Saturnin à la fin de l’année 2019. Ainsi, l’œuvre sera visible par le plus grand nombre et tous pourront apprécier la beauté et la finesse des chérubins de Paul Balze.

Pose des émaux ©Thierry BeaucapPose des émaux ©Thierry Beaucap

« Selon la volonté du conseil municipal, une équipe de bénévoles aux compétences très variées, a fait des propositions pour faire connaître ce patrimoine local. Nous étions en présence de multiples peintures émaillées sur lave qui se trouvaient dans une église pour laquelle elles n’avaient pas été conçues, comme des tableaux ou des toiles accrochés dans un maison de plaisance ou dans un musée. Par ailleurs, ces œuvres étaient les éléments d’un discours que nous nous devions de rendre intelligible même si l’étroitesse de la façade de l’église ne nous permettait pas de le reproduire in extenso. Il nous fallait prendre en compte la lecture des fresques de la chapelle Sainte-Marie de Chaalis que Paul Balze avait restaurées mais aussi la carrière de l’artiste et ses sources d’inspiration. Nous avons donc choisi un ordonnancement vertical en tenant compte également de l’architecture et du décor de la façade de Fontaine.  In fine, c’est toujours le thème marial qui organise cette nouvelle installation. Tout fut fait pour assurer une bonne lisibilité (QR code in situ donnant accès au film) et une réversibilité avec le souci de protéger ces belles œuvres du XIXe siècle »
Jean-Marc Vasseur, responsable du service culturel et pédagogique de l’Institut de France
Domaine de Chaalis – Musée Jacquemart-André

Pose des émaux de Paul Balze ©Thierry BeaucapPose des émaux de Paul Balze ©Thierry Beaucap

« Lorsque Madame Nélie Jacquemart-André décida d’offrir, en 1902, tous les émaux de la chapelle Sainte -Marie de l’abbaye de Chaalis au village de Fontaine-Chaalis, elle ne se doutait probablement pas que ceux-ci mettraient plus de 115 ans à réapparaitre !

En effet sans la découverte, par intuition, de Mme Lecoeur qui pense qu’une partie de ceux-ci sont installés dans l’église Saint Saturnin de Fontaine Chaalis, et sans l’orage de grêle qui détruit la couverture de la mairie où nous retrouvons par hasard, au grenier, 12 des grands émaux de Paul Balze, réalisés en 1878, avec une nouvelle technique.

Concours de circonstances qui nous permet d’embellir la façade de notre église.

Nous présentons dorénavant, au regard des passants, une œuvre inaltérable exceptionnelle et spécifique du patrimoine artistique décoratif du 19 XIXème siècle. »
Jacky Legier
Architecte du projet

Pour la Sauvegarde de l’Art Français, la mobilisation déclenchée par ces œuvres et pour leur valorisation constitue un exemple pour tous ceux qui veulent s’investir pour le patrimoine mobilier de leur commune. Ils pourront compter sur le soutien de la Sauvegarde, qui au travers de son opération du Plus Grand Musée de France, lancé en 2013, aide à la restauration et à la valorisation des trésors de nos villes et villages. Surtout, le cas des émaux de Fontaine-Chaalis révèle que derrière chaque œuvre, il y a des histoires passionnantes à raconter !

Pour en apprendre plus sur cette fascinante histoire, découvrez le documentaire réalisé par P. Chabauty.

[1] Josette Saint-Martin, Les cahiers de l’Ecole du Louvre « La peinture sur lave émaillée des façades des églises parisiennes du xixe siècle : une expérience de réintroduction de la polychromie »